Transcription de l’entretien vidéo du bulletin Le Réseau-Sécurité de l’ACPSER (été 2024)
Date : 11 juillet 2024
Intervieweuse : Emily McCullogh, Ph. D., Université York, membre du comité de rédaction de l’Association canadienne des professionnels de la sécurité routière (ACPSER)
Personne interviewée : Alison Macpherson, Ph. D., professeure agrégée à l’école de kinésiologie et de sciences de la santé de l’Université York, éminente chercheuse en santé publique dans le domaine de la prévention des blessures et de la sécurité routière, et militante. La Dre Macpherson partagera son point de vue sur les liens étroits qui existent entre les modes de transport sécuritaires et durables et les mesures concrètes de lutte contre les changements climatiques.
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Emily : Pouvez-vous nous raconter une anecdote amusante sur vous?
Alison : Bien sûr. Je pense que quelque chose qui est peut-être un peu inhabituel à mon sujet est que, dans le cadre de mes recherches et de ma carrière personnelle, j’ai visité 30 pays dans le monde. Mais, je n’ai jamais visité l’Écosse, qui est le pays d’origine de mes ancêtres.
Emily : Comment en êtes-vous venue à vous impliquer dans le domaine de la prévention des blessures et de la sécurité routière?
Alison : C’est une histoire un peu longue. En fait, j’ai commencé ma carrière dans l’administration de la santé et je travaillais comme directrice à l’Hôpital de Montréal pour enfants. À l’époque, le Dr Barry Pless, qui est le plus grand chercheur canadien sur les blessures et pionnier de la recherche sur les blessures au Canada et dans le monde entier, venait de lancer le Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes (SCHIRPT) dans les hôpitaux pour enfants du Canada, y compris l’Hôpital de Montréal pour enfants. J’étais directrice et notre personnel était chargé de remettre le formulaire aux parents et de leur donner des instructions sur la manière de le remplir. À cette époque, au début des années 1990, les blessures étaient considérées comme un simple accident. Lorsqu’un enfant se faisait frapper par une voiture, « Oh! c’est un accident! ». Lorsqu’un autobus scolaire frappait un enfant en se rendant à l’école, « Oh! c’est un accident! ». Mais en regardant les formulaires du SCHIRPT et en voyant tous les enfants qui venaient aux urgences, j’ai réalisé que les blessures étaient en fait un énorme problème de santé infantile et que les enfants se blessaient dans des circonstances dans lesquelles ils ne devraient pas se blesser, comme se faire renverser par des voitures lorsqu’ils traversent la rue. Ma carrière a donc changé. J’ai décidé de faire une maîtrise en épidémiologie et biostatistique à l’Université McGill sous la supervision du Dr Berry Pless, et la recherche menée faisait partie d’une étude internationale portant sur les blessures des enfants piétons et l’exposition des enfants aux véhicules. Nous avons donc compté le nombre de véhicules et le nombre de rues que les enfants traversaient pour se rendre à l’école et en revenir, et nous avons établi un lien avec le taux de blessures subies par les enfants piétons. C’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas dans ce domaine. J’ai toujours été passionnée par l’idée que les enfants devraient pouvoir se rendre à l’école ou au parc à pied ou à vélo en toute sécurité, afin de pouvoir profiter pleinement de leur environnement. C’est une façon de favoriser le développement sain des enfants et le transport durable.
Emily : Quel est le lien entre les modes de transport sécuritaires et durables et la lutte contre les changements climatiques?
Alison : Chaque fois que quelqu’un utilise un mode de transport plus durable au lieu d’une voiture, l’empreinte carbone diminue. C’est la réponse simple. Mais ce n’est pas si simple. En Amérique du Nord et ailleurs dans le monde, notamment en Australie et aux États-Unis, nous avons conçu nos villes et notre environnement de manière à ce qu’ils soient très favorables à la voiture. Traditionnellement, le travail des ingénieurs de la circulation consistait à faire en sorte que les voitures se rendent de leur point de départ à leur destination le plus rapidement et le plus simplement possible. Ça a créé un environnement dangereux pour les piétons et les cyclistes. Dans un environnement axé sur la voiture, il y a des panneaux indiquant aux piétons de céder le passage aux voitures et il n’y a pas de pistes cyclables, par exemple. Il est difficile de se déplacer à vélo s’il n’y a pas de réseau de pistes cyclables.
Lorsque je suis arrivée à Toronto en 1998, j’avais pris la décision de faire du vélo pour me rendre jusqu’à mon lieu de travail, qui était le Sick Kids Hospital, et c’était terrifiant. J’ai choisi de changer de mode de transport parce que je ne me sentais pas en sécurité à vélo. Donc, si le transport n’est pas sécuritaire, les gens choisiront des modes de transport plus sûrs et le mode par défaut est souvent la voiture. Si le transport actif est sécuritaire, beaucoup plus de gens marcheront et feront du vélo. Certains disent qu’il fait trop froid au Canada pour faire du vélo en hiver. Vancouver, Montréal et Toronto ont fait de grands progrès pour sécuriser les pistes cyclables en les déneigeant. Donc, si les pistes cyclables sont ouvertes, les gens feront du vélo. Ils ont de superbes gants de vélo, ils s’habillent chaudement et ils font du vélo toute l’année. Je pense donc que le transport sécuritaire est à la base de tout cela parce que comme je l’ai dit précédemment, si les gens ne se sentent pas en sécurité, ils ne marcheront pas et ne feront pas de vélo. Si nous prenons au sérieux les changements climatiques et si nous voulons promouvoir les modes de transport durables et la sécurité des usagers vulnérables de la route, ou des personnes qui ne sont pas en voiture, les modes de transport sécuritaires doivent être d’une importance capitale.
Emily : Il semble que la conception de l’environnement bâti ait d’énormes répercussions sur le désir des gens de choisir ce type de déplacement, car les commodités sont plus éloignées dans ces centres urbains axés sur la voiture.
Alison : Oui, c’est avant tout l’environnement bâti qui doit changer. Les trottoirs doivent être reliés, la vitesse dans les rues doit diminuer, et nous avons besoin d’un réseau cyclable pour tous les âges et toutes les capacités afin que les personnes qui s’initient au vélo puissent se sentir en sécurité et protégées des voitures tout au long de leur trajet, et pas seulement le long de l’eau ou de Bloor Street à Toronto. Il doit s’agir d’un réseau; nous devons modifier l’environnement bâti.
Emily : Avez-vous des conseils à donner aux membres de l’ACPSER sur la manière de démarrer des projets ou des initiatives visant à promouvoir les modes de transport sécuritaires et durables pour lutter contre les changements climatiques?
Alison : Fondamentalement, c’est une question de partenariats. Pour moi, il ne s’agit pas d’un exercice théorique. Je ne passe pas mon temps seule dans mon bureau à réfléchir à la manière d’accroître la sécurité. Nous devons travailler en partenariat avec les municipalités et les autres ordres de gouvernement, car ce sont leurs politiques en matière d’environnement bâti sur nos routes qui doivent changer. Nous avons également besoin de partenariats universitaires de partout au pays. Enfin, nous ne pouvons pas oublier nos partenaires communautaires et nos groupes de revendication. Par exemple, Parachute Canada a été un partenaire clé dans tous les projets de recherche que j’ai menés parce qu’il est au courant de ce qui se passe sur le terrain. Il fait beaucoup de transfert de connaissances. Il partage les résultats des études d’une manière digeste. D’autres organisations, telles que les associations de cyclistes (les partisans du vélo) et Ever Active Schools (les membres des conseils scolaires qui tentent d’inciter les enfants à se rendre à l’école à pied et à vélo), doivent également mobiliser l’énergie de ces partenaires et se rappeler qu’il a fallu beaucoup de temps pour que nos routes soient aussi axées sur la voiture. Il faudra beaucoup de temps pour les rendre plus sécuritaires et nous serons confrontés à une opposition très active de la part des personnes qui aiment se déplacer en voiture et qui veulent aller du point A au point B le plus rapidement possible. Elles veulent pouvoir se stationner facilement et conserver le mode de vie que nous avons favorisé en Amérique du Nord pendant de nombreuses années.
Emily : Une partie du défi consiste donc à commencer à structurer notre environnement bâti de manière à ce que la voiture ne soit pas le meilleur choix?
Alison : Oui, et ce, tout en reconnaissant que de nombreuses personnes pensent encore que la voiture est le seul mode de transport accessible. Si les gens ne peuvent pas marcher ou faire du vélo, ils doivent conduire. Je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense que nous pouvons être beaucoup plus créatifs dans nos solutions. Par défaut, une personne va dire : « J’ai 85 ans, j’ai conduit une voiture toute ma vie, je veux aller regarder mon petit-fils ou ma petite-fille jouer au soccer dans un parc, je ne peux pas y aller à pied, donc je veux pouvoir y aller en voiture », et c’est facile à comprendre. Je pense que nous devons écouter les gens et comprendre leurs préoccupations, mais si la voiture demeure le mode de transport par défaut, ce n’est tout simplement pas une façon durable pour nous de continuer à aller de l’avant. Ce sera une catastrophe pour notre planète.
Bien sûr, il y a d’autres possibilités que nous pouvons envisager, mais celle-ci est tout à fait réalisable pour nous. Il ne faut pas oublier non plus que le transport actif est plus équitable pour les personnes qui n’ont pas les moyens de conduire une voiture. Le transport actif est une meilleure option. Lorsque les enfants marchent jusqu’à l’école, ils sont plus disposés à apprendre parce qu’ils ont fait un peu d’exercice et qu’ils ont eu du temps entre la maison et l’école. Lorsque les enfants marchent dans la rue, ils regardent les arbres, ils regardent les fleurs, ils flattent les chiens, ils font toutes sortes de choses en se rendant à l’école. Ainsi, bien que les changements climatiques soient un aspect très important, il y a beaucoup d’autres avantages pour les personnes et la société à essayer de nous rendre moins dépendants de nos voitures.
Emily : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez partager aujourd’hui?
Alison : Non. Merci pour cet entretien. Ce fut un vrai plaisir.
Emily : Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez accordé et pour avoir partagé votre sagesse.