LUTTER CONTRE LA VITESSE EXCESSIVE GRÂCE À LA TECHNOLOGIE AUTOMOBILE – SYSTÈMES D’ADAPTATION INTELLIGENTE DE LA VITESSE
Auteurs : Caroll Lau et M. Peter Burns
Caroll Lau est spécialiste des facteurs humains à Transports Canada, où elle mène des recherches appliquées sur la sécurité des véhicules axées sur la distraction des conducteurs, les interfaces homme-machine (IHM) dans les véhicules automatisés et les perceptions en matière de sécurité des technologies avancées. Son travail couvre des domaines comme la détection des usagers de la route vulnérables, l’expérience des utilisateurs avec les véhicules automatisés et les systèmes de contrôle de vigilance. Son travail contribue à l’élaboration de normes et de règlements à l’échelle nationale et internationale en matière de sécurité des véhicules à moteur.
Peter Burns dirige la Division des facteurs humains et de l’évitement des collisions à Transports Canada, où il dirige la recherche appliquée et l’élaboration de méthodes d’essai axées sur le comportement des conducteurs et les technologies de sécurité des véhicules. Avec plus de 30 ans d’expérience dans la recherche sur la sécurité routière, M. Burns est spécialisé dans les facteurs humains, l’interaction du conducteur avec l’automatisation et l’évaluation de la conception de l’interface et des systèmes de contrôle de vigilance. Son travail contribue à l’élaboration de normes de sécurité pour les véhicules à moteur au Canada et à l’international.
Résumé
L’excès de vitesse est un facteur important de traumatisme routier au Canada, mais il est largement encouragé dans les sports motorisés et les médias. Les recherches montrent que les excès de vitesse augmentent à la fois la probabilité et la gravité des collisions et des blessures. Pour résoudre ce problème, les systèmes d’adaptation intelligente de la vitesse (AIV), qui aident les conducteurs à respecter les limites de vitesse, sont considérés comme une solution potentielle. Le déploiement des systèmes d’AIV a déjà été imposé en Europe et au Royaume-Uni, et les résultats obtenus en matière de réduction des accidents de la route, des décès et même des émissions de CO2 sont prometteurs. Bien que le déploiement des systèmes d’AIV à grande échelle n’ait pas encore eu lieu au Canada, leur potentiel d’amélioration de la sécurité routière suscite un intérêt croissant, notamment en raison de la disponibilité grandissante de ces technologies dans les véhicules. La perception de l’AIV par le public est généralement positive, et son potentiel de réduction des collisions routières en fait un domaine de recherche intéressant, dont le déploiement pourrait avoir lieu à l’avenir.
Les défis de la célébration de la vitesse
La vitesse est encouragée dans le monde entier. Les sports motorisés sont synonymes de vitesse. Les courses de Formule 1, qui rassemblent plus de 750 millions d’adeptes dans le monde entier, mettent en scène des voitures atteignant plus de 300 km/h, avec des accidents stupéfiants qui font souvent partie du spectacle. Hollywood glorifie également la vitesse – les poursuites à grande vitesse sont un élément essentiel des films d’action, et toute une franchise de superproductions, Rapides et dangereux, est axée sur la conduite rapide et agressive. La publicité automobile alimente cette obsession en associant la vitesse au luxe, à la puissance et au statut.
Cette glorification incessante de la vitesse a des conséquences dans le monde réel. L’attrait de la vitesse ne se limite pas aux pistes de course et aux écrans de cinéma : il influence la façon dont les gens conduisent. La sécurité des véhicules automobiles s’est remarquablement améliorée, mais les voitures modernes sont plus puissantes et rapides que jamais, ce qui facilite les excès de vitesse. L’excès de vitesse reste l’un des principaux facteurs de mortalité automobile au Canada; la vitesse excessive et la vitesse de conduite non adaptée aux conditions étaient à l’origine de 21,9 % des collisions mortelles en 2022 (1). La normalisation de la vitesse dans les médias et la publicité contribue probablement aux habitudes de conduite à risque; selon un sondage d’opinion mené par l’Association canadienne des automobilistes (2), près de 70 % des Canadiens admettent rouler trop vite au moins 1 fois par an sur des routes résidentielles, la moitié d’entre eux déclarent le faire sur les autoroutes, et au moins 1 conducteur sur 5 dépasse régulièrement la limite de vitesse. Les risques sont indéniables : un excès de vitesse de seulement 10 km/h au-dessus de la limite augmente de 60 % la probabilité d’une collision (3), et les conducteurs ayant reçu une contravention pour excès de vitesse sont plus susceptibles d’être impliqués dans de futurs accidents (4).
Systèmes d’adaptation intelligente de la vitesse
Les autorités municipales et provinciales ont déployé de nombreux efforts pour réduire les excès de vitesse, notamment en installant des radars de contrôle automatisé de la vitesse (CAV) et en réduisant les limites de vitesse affichées sur les routes (5). En outre, Transports Canada étudie d’autres moyens d’enrayer les excès de vitesse en déployant des technologies automobiles avancées, comme les systèmes d’adaptation intelligente de la vitesse (AIV). Les systèmes d’AIV sont des technologies avancées d’aide à la conduite qui peuvent être installées dans les nouveaux véhicules, en tant qu’équipement de série ou en option (12). Ces systèmes sont conçus pour aider les conducteurs à respecter les limites de vitesse en utilisant des données géospatiales, la technologie de reconnaissance des panneaux de signalisation ou les deux (6, 12). On peut classer les systèmes d’AIV comme « passifs » ou « actifs ». Les systèmes d’AIV passifs affichent les limites de vitesse actuelles sur le tableau de bord, informent les conducteurs lorsqu’elles changent et émettent des avertissements lorsque le véhicule dépasse la limite (6, 7), tandis que les systèmes d’AIV actifs interviennent directement en empêchant le conducteur de dépasser la limite de vitesse affichée. Toutefois, il est généralement possible de contourner les systèmes d’AIV actifs, notamment en appuyant plus fort sur la pédale d’accélération pour dépasser la limite de vitesse.
Déploiement du système d’adaptation intelligente de la vitesse
Le potentiel de réduction du nombre de blessés et de morts sur les routes des systèmes d’AIV est prometteur (6). L’Europe et le Royaume-Uni ont déjà déployé les systèmes d’AIV sur leurs routes publiques. Par exemple, à partir de 2019, tous les nouveaux autobus urbains de Londres doivent être équipés d’un système d’AIV actif (8). En vertu du Règlement 2019/2144 de l’Union européenne (UE) sur la sécurité, tous les nouveaux véhicules à passagers disponibles à partir de juillet 2024 doivent être équipés de systèmes d’AIV actifs ou passifs (9). Aux États-Unis, le National Transportation Safety Board (NTSB) a émis une recommandation de sécurité visant à inclure des systèmes d’AIV passifs ou actifs dans tous les nouveaux véhicules, après une collision mortelle entre plusieurs véhicules causée par un conducteur en excès de vitesse et ayant brûlé un feu rouge (10). En outre, plusieurs États ont imposé aux conducteurs condamnés pour excès de vitesse l’installation d’un système d’AIV actif dans leur véhicule. La Californie, qui a adopté une approche plus large en proposant que tous les nouveaux véhicules vendus soient équipés d’un système d’AIV, quelle qu’en soit la forme, en est un exemple (6). Toutefois, le gouverneur a récemment opposé son veto à cette proposition parce qu’il craignait de compromettre le rôle de la National Highway Traffic Safety Administration fédérale dans la réglementation des normes de sécurité des véhicules et son travail en cours sur l’évaluation des systèmes d’AIV (13).
La perception de la technologie d’AIV par le public est un élément important pour un déploiement réussi. En 2024, l’Insurance Institute for Highway Safety (IIHS) a mené une enquête sur les attitudes et les perceptions des conducteurs à l’égard de l’AIV. L’enquête a révélé que 60 % des conducteurs sont plus enclins à accepter les systèmes d’AIV passifs, tandis que 50 % seulement sont favorables à l’utilisation de systèmes d’AIV actifs (11). Avec l’essor des radars photographiques et d’autres mesures de contrôle de la vitesse, les systèmes d’AIV pourraient devenir plus attrayants pour les consommateurs désireux d’éviter des amendes coûteuses pour excès de vitesse. On prévoit que la mise en œuvre de l’AIV sur les routes publiques et dans les véhicules à passagers permettrait de diminuer les blessures et les décès de 19 à 28 %, et de 26 à 50 % sur les routes urbaines et les autoroutes (6). Outre l’amélioration de la sécurité routière, l’utilisation de l’AIV entraîne également des avantages environnementaux. Le Royaume-Uni a prévu une réduction des émissions de CO2 grâce à l’adoption de la technologie d’AIV.
Systèmes d’adaptation intelligente de la vitesse au Canada : Limites et défis
Bien que l’AIV ait gagné du terrain en Europe, l’utilisation de cette technologie dans les véhicules à passagers n’est actuellement pas obligatoire au Canada. Certaines provinces imposent des limiteurs de vitesse pour les camions, qui les empêchent d’excéder 105 km/h, mais ils ne sont pas « intelligents » et n’empêchent pas les excès de vitesse en dessous de cette limite. En outre, l’AIV n’a fait l’objet d’aucune évaluation récente auprès de conducteurs canadiens dans des conditions de circulation réelles. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer son potentiel de sécurité, ses limites et son efficacité dans l’environnement de conduite canadien, ainsi que pour explorer les mesures axées sur le conducteur qui pourraient favoriser l’acceptation par l’utilisateur.
Il est important d’assurer une détection des limites de vitesse précise pour empêcher les excès de vitesse de manière fiable, en particulier dans les zones critiques, comme les zones scolaires. On craint que l’AIV détecte mal les limites de vitesse sur les routes adjacentes, ce qui entraînerait des erreurs de lecture. En outre, les conducteurs risquent de devenir trop dépendants au système, ce qui les rendrait moins attentifs aux limites de vitesse affichées et à l’évolution des conditions routières. Il n’est pas certain non plus que l’AIV puisse aider de manière adéquate les conducteurs à adapter leur conduite dans des conditions difficiles, comme des routes glissantes en hiver ou des scénarios de faible visibilité (p. ex. la vitesse de conduite non adaptée aux conditions), lorsqu’il peut s’avérer nécessaire de conduire en dessous de la limite affichée.
L’acceptation par le public constitue un autre défi crucial. Puisque la vitesse est profondément ancrée dans la culture automobile, l’AIV – en particulier l’AIV active, qui limite directement la vitesse – est susceptible de se heurter à une forte réticence de la part des conducteurs qui la considèrent comme une perte de contrôle intrusive. Si le degré de tolérance pour l’AIV passive (qui émet des avertissements) peut être plus élevé, les alertes persistantes peuvent tout de même s’avérer frustrantes. En Europe, certains conducteurs ont décrit les avertissements de l’AIV comme une source de distraction ou comme incitant les comportements dangereux, comme le fait de contourner délibérément le système. Une IHM bien conçue est essentielle afin d’atténuer ces problèmes et de s’assurer que l’AIV favorise une conduite plus sûre sans devenir une source d’agacement ou de désengagement.
À l’avenir, une veille technologique sera nécessaire afin d’évaluer les systèmes d’AIV actuellement disponibles sur le marché. Cette veille devrait se concentrer sur le rendement en matière de sécurité, les facteurs humains (comme la conception de l’interface et l’efficacité des avertissements) et l’acceptation par le public. L’obtention de ces renseignements sera cruciale pour déterminer s’il est possible d’intégrer efficacement l’AIV dans les initiatives de sécurité routière au Canada.
Conclusion
La technologie d’AIV offre un potentiel important de réduction des blessures et des décès liés à la vitesse sur la route au Canada. Toutefois, une évaluation rigoureuse est nécessaire afin de comprendre le plein potentiel de l’AIV en matière de sécurité et ses limites et d’orienter les exigences de mise en œuvre potentielles. Malgré la technologie automobile de pointe qui domine les courses de Formule 1, les limiteurs de vitesse sont utilisés dans la voie de ravitaillement pour protéger les membres de l’équipe, ce qui prouve qu’un contrôle intelligent de la vitesse est essentiel pour la sécurité, même aux niveaux de performance les plus élevés. La technologie d’AIV est de plus en plus répandue; les conducteurs canadiens doivent se tenir informés de ses avantages, en particulier lorsqu’ils envisagent d’acheter leur prochain véhicule.
Références
- Transports Canada. (2024). Statistiques sur les collisions de la route au Canada : 2022. Gouvernement du Canada. Récupéré à l’adresse suivante : https://tc.canada.ca/fr/transport-routier/statistiques-donnees/statistiques-collisions-route-canada-2022
- Association canadienne des automobilistes. (2024). Excès de vitesse : une tendance lourde parmi les Canadiens, révèle la CAA. CAA National. Récupéré à l’adresse suivante : https://www.caa.ca/fr/news/exces-de-vitesse-une-tendance-lourde-parmi-les-canadiens-revele-la-caa/
- Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada. (2020). Is faster really better when it comes to driving? Récupéré à l’adresse suivante : https://tirf.ca/blog/is-faster-really-better-when-it-comes-to-driving/
- Walton, D. et Hendy, R. (2024). Drivers’ long-term crash risks associated with being ticketed for speeding. Journal of Safety Research, 91, 431-436. https://doi.org/10.1016/j.jsr.2024.02.009
- Automated Speed Enforcement Ontario. (2017). Dispositifs de contrôle automatisé de la vitesse. Récupéré à l’adresse suivante : www.aseontario.com/fr
- New York City Department of Citywide Administrative Services. (2024). New York City Intelligent Speed Assistance Pilot Evaluation: Analysis and findings. Récupéré à l’adresse suivante : https://www.nyc.gov/assets/dcas/downloads/pdf/fleet/nyc-intelligent-speed-assistance-pilot-evaluation-2024-oct.pdf
- Lai, F., Carsten, O. et Tate, F. (2012). How much benefit does Intelligent Speed Assistance deliver: An analysis of its potential contribution to safety and environment. Accident Analysis & Prevention, 48, 63-72. https://doi.org/10.1016/j.aap.2011.04.011
- Transport for London. (2022). Bus safety. Récupéré à l’adresse suivante : https://tfl.gov.uk/corporate/safety-and-security/road-safety/bus-safety
- Charte européenne de la sécurité routière. (2024). Intelligent speed assistance (ISA) set to become mandatory across Europe. Récupéré à l’adresse suivante : https://road-safety-charter.ec.europa.eu/resources-knowledge/media-and-press/intelligent-speed-assistance-isa-set-become-mandatory-across
- National Transportation Safety Board. (2025). Safety recommendation report: Implementing Intelligent Speed Assistance Systems to enhance safety. Récupéré à l’adresse suivante : https://data.ntsb.gov/carol-main-public/sr-details/H-23-014
- Reagan, I. J. et Cicchino, J. B. (2024). ISA in the USA? The likelihood of U.S. drivers accepting and using intelligent speed assistance. Transportation Research Part F: Traffic Psychology and Behaviour, 109, 242-254. https://doi.org/10.1016/j.trf.2024.03.004
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- Office of the Governor [Internet]. (2024). Disponible à l’adresse suivante : https://www.gov.ca.gov/wp-content/uploads/2024/09/SB-961-Veto-Message.pdf